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autolib Paris et autopartage : réaction au buzz de l’enquête CLCV

Un véhicule Bluecar de Blue Solutions (groupe Bolloré) du service d'autopartage en "trace directe" Autolib en région parisienne garé près d'une station permettant les inscriptions à distance (photos par Francisco Gonzalez diffusée sur Flickr sous licence Creative Commons 2.5 - http://creativecommons.org/licenses/by/2.5/)

Un véhicule Bluecar de Blue Solutions (groupe Bolloré) du service d'autopartage en "trace directe" Autolib en région parisienne garé près d'une station permettant les inscriptions à distance (photos par Francisco Gonzalez diffusée sur Flickr sous licence Creative Commons 2.5 - http://creativecommons.org/licenses/by/2.5/)

 Je reprends ici un article sur autolib’ Paris et la CLCV que j’ai publié ailleurs en décembre 2012.

Une enquête de l’association de consommateurs CLCV sur le service autolib’ parisien fait actuellement le buzz. L’association présente 3 angles de critique à ce système véhicules de électriques en libre-service :

J’ai décidé d’aller au-delà des articles de presse plus ou moins réinterprétés pour tenter de comprendre ce qu’a fait l’association, ce qu’elle en conclut et ce qu’on peut en dire.

A partir de ce point, version initiale complète de l’article avec ajout de photos d’illustration et d’une note dans la conclusion (et correction de coquilles…)

Une enquête de l’association de consommateurs CLCV sur le service Autolib’ parisien fait actuellement le buzz. Pour mémoire, Autolib’ Paris propose des véhicules électriques en libre-service en “trace directe” ou “one way”, c’est-à-dire qu’on peut les prendre à un point “A” pour les laisser à un point “B”, à l’instar de la plupart des systèmes de vélos en France tels Vélib’, Vélo’V, etc.

Il y aurait beaucoup à dire sur l’absence de précautions que prennent de nombreux médias sur le sujet en déformant (involontairement, je pense) l’enquête en elle-même et/ou ses conclusions… Ceci suffit à donner envie de répondre ! Et puis on se penche sur l’enquête et ses conclusions et on réalise que tout n’est pas aussi noir qu’on l’avait craint…

L’association présente trois angles de critique du service :

J’ai donc décidé d’aller au-delà des articles de presse plus ou moins réinterprétés pour tenter de comprendre ce qu’a fait l’association, ce qu’elle en conclut et ce qu’on peut en dire.

Le service d’autopartage parisien Autolib est-il problématique pour les déplacements en région parisienne ? (photo ci-dessus et de l’en-tête par Francisco Gonzalez diffusée sur Flickr sous licence Creative Commons 2.5 – http://creativecommons.org/licenses/by/2.5/)

La question de la représentativité et les biais possibles

En l’état des informations fournies, il est difficile d’évaluer la représentativité des personnes interrogées dans l’enquête de la CLCV, tant sur le plan sociologique que territorial. L’association indique que 152 personnes ont été interrogées dans 14 stations dans Paris et la petite couronne (page 2). Partons du principe que l’échantillon soit représentatif ou encore que ce critère n’ait pas d’incidence vis-à-vis des questions posées comme le fait l’association page 11 : “Par ailleurs et même si le panel n’est pas suffisamment représentatif pour fixer des résultats scientifiques […]”.

La plupart des questions portent sur le ressenti des utilisateurs. En tant que telles, elles peuvent permettre à un service d’identifier des marges de progression pour son image mais sont nettement moins fiables s’il s’agit d’analyser les véritables problèmes.

Par exemple, il a apparemment été demandé « Pourquoi utilisez-vous Autolib’ ? » (page 10). La réponse obtenue ne sera pas forcément identique à celle que le même panel aurait donnée face à la question “En l’absence d’Autolib’, quel autre mode de déplacement auriez-vous employé ?” (cf. Enquêtes Vélo’V Grand Lyon). En effet, la question de la CLCV ci-dessus porte en elle une ambiguïté pour le répondant. Elle lui permet de relier inconsciemment, voire consciemment, la demande à l’image qu’il souhaite se renvoyer et renvoyer aux autres. A travers la réponse, la personne n’indique pas uniquement pourquoi effectivement elle utilise le service mais pourquoi elle croit pouvoir dire qu’elle utilise le service. Dans son esprit, la question est confondue partiellement avec « Quel est l’intérêt du service ?« . Ce biais peut être vérifié aisément en demandant aux usagers des transports en commun : « Pourquoi utilisez-vous les transports en commun ?« . Alors que les études poussées montrent que l’utilisation des transports collectifs est majoritairement liée à des contraintes sur l’usage de la voiture (bouchons, stationnement problématique…) ou des questions de budget (pas de quoi payer le fonctionnement d’une voiture ou encore le stationnement…), l’argument écologique, minoritaire, occupera dans les réponses une place disproportionnée par rapport à la réalité.

Ainsi, lorsqu’on sait qu’en petite couronne parisienne, 32% des ménages n’ont pas de voiture et que ce chiffre monte à 58% pour Paris intramuros (Données INSEE), on peut se demander si ce ne sont pas les problématiques de possession d’une voiture dans Paris qui jouent… Sachant qu’il y a une corrélation importante entre ce chiffre de non-possession de voiture et l’éloignement des centres urbains (ex. à Angoulême : 20% pour la ville centre, 10% dans le reste de l’agglomération et 2% dans le périurbain / reste du SCOT – voir page 8 de l’Enquête Déplacements Ville Moyenne d’Angoulême), on peut présumer que les réponses mélangent allègrement l’intérêt porté au service avec le réel facteur déclenchant son utilisation plutôt qu’un autre mode. D’un point de vue scientifique, si on veut savoir quels sont les facteurs déclenchant ce report modal, il faudrait probablement interroger les personnes uniquement sur le déplacement qu’elles s’apprêtent à effectuer ou qu’elles viennent d’effectuer.

Les usages de l’autopartage et la critique de la CLCV

Autolib’ parmi les services à la mobilité franciliens

En analyse et conclusion de l’enquête, une partie des critiques de l’association portent sur la place du service dans l’offre de déplacements. Cette question est traitée conjointement avec celle des tarifs. Par exemple :

Les abonnements des personnes enquêtées sont prioritairement annuels (70 %) ou mensuels (14,5 %). Le coût dissuasif de l’abonnement journalier explique sans doute cette situation.

Prenons également la question précédente « Pourquoi utilisez-vous Autolib’ ? » (page 10) qui appelle l’observation suivante de l’association :

Élément intéressant de notre enquête, les utilisateurs déclarent très majoritairement utiliser Autolib au lieu des transports en commun (jugés peu rapides et peu confortables). Ce n’est donc pas au véhicule personnel que semble se substituer prioritairement Autolib mais aux transports collectifs, jugés peu attractifs. On retrouve ici un argument propres aux usagers des voitures personnelles.

Cette situation nous semble préoccupante car il serait préférable qu’un service comme Autolib se situe en complémentarité avec les transports en commun, pour limiter l’usage des véhicules personnels et non en concurrence.

Malgré le biais qu’on a évoqué, on peut estimer effectivement, au regard des utilisations des vélos en libre-service, qu’il est possible qu’une partie des usages d’Autolib’ Paris se fasse au détriment des transports collectifs. On ne peut donc qu’être d’accord sur le fait que cette situation est regrettable. Cependant, on ne peut s’empêcher de souligner la faible probabilité d’une concurrence fréquente. En effet, vu les tarifs d’Autolib’, il faut disposer d’un pouvoir d’achat particulièrement important pour remplacer systématiquement un déplacement en transports en commun par un déplacement en véhicule d’autopartage !

La question des tarifs

Et là, la CLCV reprend sa place d’association de consommateur pour discuter des tarifs ! L’argument portant sur un coût intéressant pour les usagers ponctuels afin de leur permettre d’essayer le service avant de l’adopter semble pertinent. En revanche, conclure que le service coûterait trop cher par rapport à une voiture personnelle (« L’usage de l’autolib ne pourra se démocratiser que si la prestation est à un prix moins élevé que la voiture particulière. » – page 13), c’est comme dire que les transports en commun ne peuvent pas se développer parce qu’ils ne sont pas individuels ! On ne peut comparer…

et

Sans connaître les arguments “commerciaux” qui ont été avancés pour valoriser le service parisien Autolib, on sait que l’autopartage ne s’adresse pas à une personne utilisant la voiture quotidiennement à titre privé. Lorsque l’association dit que “Dans le cas d’un usage quotidien, compte tenu du prix de location horaire, et surtout s’il y a des bouchons, l’autolib est plus onéreux que d’avoir sa propre voiture.”, elle ne fait que souligner que l’autopartage ne s’adresse pas à tous les profils et qu’il vient compléter d’autres services existants. Ainsi, si “[…] dans l’esprit, des personnes sondées, Autolib ne semble pas réellement pouvoir remplacer un véhicule personnel à ce jour.”, c’est que les personnes ont bien compris à quoi est destiné le service… ou, plutôt, à quoi il n’est pas destiné !

Les systèmes d’autopartage offrent un service à ceux qui trouvent un intérêt à prendre un véhicule, soit parce qu’ils n’en ont pas à disposition au moment où ils en ont besoin, soit parce qu’ils se sont rendu compte qu’ils pouvaient abandonner le deuxième, voire le premier du foyer et préférer le bouquet « transports collectifs/taxi/location classique et Autolib ». L’autopartage, quel que soit le système, n’a pas vocation à se substituer par ses tarifs aux autres services existants et encore moins à remplacer une voiture qui serait utilisée tous les jours pour faire une vingtaine de kilomètres ou plus.

Malgré la facilitation d’inscription (ici une station permettant les inscriptions à distance), un service d’autopartage en « trace directe » assuré avec des véhicules électriques coûte bien plus cher à l’usage que les transports collectifs ! (photo par Francisco Gonzalez diffusée sur Flickr sous licence Creative Commons 2.0 – https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/)

Conclusion personnelle

Contrairement à l’association, il ne me semble donc pas pertinent de basculer une partie des coûts du service sur l’utilisation ou de supprimer les 20 premières minutes indivisibles (voir “Nos demandes” – pages 13 et 14). Le consommateur est en principe aussi un citoyen et il assez évident que la viabilité d’un service reposant sur des coûts fixes importants est compliquée si on reste dans une logique de “zapping” (utilisation sporadique et imprévisible).

Grâce à la dimension métropolitaine de Paris, les réactions médiatiques, politiques et citoyennes sont nombreuses. De la même manière que Vélib’ a éclipsé Vélo’V lancé à Lyon un an avant et avec le même succès, Autolib’ focalise l’attention du citoyen lambda sur une façon de partager les véhicules (ND2016 la « trace directe » plutôt que la « boucle » telle que pratiquée généralement ailleurs en France à l’époque). Cette attention génère de nombreuses interrogations et même si les réactions et critiques peuvent être, à mon sens, tantôt disproportionnées, tantôt manquer leur but, elles permettent néanmoins de faire parler de l’autopartage. Et ça, c’est déjà bien !

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